Qu’est ce qu’une Laure?

En Ukraine et en Russie, et plus généralement dans le monde orthodoxe, parmi les sites religieux les plus importants, on compte plusieurs Laures. Il est cependant difficile pour le visiteur de bien comprendre ce qui différencie ces « Laures » des autres monastères, d’autant plus que peu de locaux sont en mesure d’expliquer clairement ce qu’est une Laure. Voilà ce que « The Oxford Handbook of Bizantine Studies » nous apprend à ce sujet :

Depuis Saint Antoine (251-356), l’érémitisme était considéré comme la forme idéale de la vie monastique. L’érémitisme est le mode de vie des ermites selon lequel un individu choisit l’isolement radical afin d’avancer dans la prière et l’ascétisme. Les ermites étaient solitaires mais ils avaient aussi des disciples, et c’est ainsi qu’est apparu un nouveau genre de vie monastique, dans ce que l’on a appelé les « Laures ».

Une Laure est une communauté de moines qui étaient principalement solitaires, chacun suivant son chemin spirituel, mais qui étaient rassemblés autour d’un Ancien (Abba, Père en grec) dans une sorte de famille spirituelle. La communauté se rassemblait dans une église le dimanche et lors des fêtes religieuses afin de chanter des psaumes, célébrer la liturgie, et recevoir les enseignements de l’Ancien. Ce mode de vie était fondé sur une relation forte avec une figure charismatique, et ces communautés n’avaient pas de règle et ne mangeaient pas ensemble, au contraire des monastères vivant en communauté. C’est donc un mode de vie monastique mixte, entre la vie en communauté (cénobitisme) et la vie d’ermite (érémitisme, ou anachorétisme) dédiée à la contemplation et à la méditation dans l’isolement.

Avec le temps, ces communautés se sont organisées de façon plus compacte, au sein de murs ou de fortifications, avec l’église commune au centre.

Des monastères peuvent également être élevés au rang de Laure du fait de leur importance, comme par exemple ce fut le cas pour la Laure Saint-Alexandre de la Néva, qui reçut dès sa fondation le statut de Laure par décision de Pierre Le Grand, afin de donner au monastère de la nouvelle capitale (Saint-Pétersbourg) un statut aussi important que celui de la Laure de Kiev ou de la Trinité Saint Serge près de Moscou.

Dans le monde orthodoxe, tous patriarcats confondus, il n’y aurait qu’une quinzaine de Laures, la plus ancienne étant la Laure de Saint Sabbas, située dans le désert de Judée, à quelques kilomètres de la ville de Bethléem, et fondée au Ve siècle. Le premier monastère construit sur le mont Athos, au Xe siècle, a aussi le statut de Laure.

Dans les églises orthodoxes russe et ukrainiennes, on compte en tout 5 Laures :

• La Laure  des Grottes de Kiev, fondée en 1051, située dans Kiev;
• La Laure de Potchaiev, située en Ukraine de l’Ouest, dont les origines remontent à 1240 ;
• La laure de la Dormition de la Mère de Dieu de Sviatohirsk, située à l’Est de l’Ukraine dans la région de Donetsk, fondée entre le XIIIe et le XVe siècles ;
• La Laure de la Trinité Saint Serge de Radonège fondée au milieu du XIVe siècle et située à 75kms au nord de Moscou ;
• Le monastère de la Sainte-Trinité-Alexandre-Nevski, fondé en 1710 par Pierre 1er et situé à Saint-Pétersbourg.

L’histoire de la Laure de Potchaiev

Ce monastère a été fondé vers 1240 par des moines de la Laure des Grottes de Kiev, qui avaient fui Kiev lors de l’invasion mongole et qui s’étaient réfugiés dans la région de Volhynie. Ils choisirent cette montagne couverte d’un bois dense, le long de la rivière Pochaina, un affluent du Dniepr sur les rives duquel se trouvait autrefois leur monastère. Cet endroit symbolisait à leurs yeux la pureté et le désert, aussi bien sur le plan physique que sur le plan spirituel. Ces moines voulaient créer une Laure dans l’esprit ascétique dur de Saint Antoine et de Théodose des Grottes de Kiev.

Dès ses débuts, ce site a été dédié à la Vierge Marie qui est apparue à ces moines sur un rocher, entourée de flammes avec un sceptre dans la main et coiffée d’une couronne. Elle a laissé l’empreinte de son pied droit sur un rocher, et de là est apparue une source qui continue à couler de nos jours. Grâce à cette apparition, et aussi grâce aux pouvoirs de guérison miraculeux de cette source, la communauté s’est agrandie, et de plus en plus de pèlerins venaient visiter le site. Au XVIe siècle a été construite la première église en pierre et Pochaiev est devenu à partir de ce moment le centre de la vie spirituelle sur le terres à l’Ouest de la Russie.

En 1597, l’influence du monastère fut encore renforcée lorsqu’une aristocrate locale, Anna Hoiska, fit don de ses terres ainsi que de son trésor le plus précieux : l’icône miraculeuse de la Sainte Mère de Dieu. Anna Hoiska avait découvert à cette icône des pouvoirs miraculeux de guérison lorsque son jeune frère aveugle eut retrouvé la vue après avoir prié cette icône.

Aujourd’hui, les pèlerins viennent admirer et vénérer cette icône de la Vierge qu’Anna Hoiska donna au monastère, ainsi que l’empreinte du pied de la Vierge. Pendant notre pèlerinage (lors de l’Ascension orthodoxe), nous avons pu vénérer cette icône ainsi que l’empreinte laissée par le pied de la Vierge. Nous avons également pu boire l’eau de cette source miraculeuse.

L’histoire du monastère est ensuite façonnée par les événements et les guerres qui ont marqué la région. En 1675, durant la guerre de Zbaraj, on raconte que les Turcs qui faisaient le siège du monastère ont fui après avoir vu une apparition de la Vierge accompagnée par des anges et par Saint Job, le protecteur du monastère. Beaucoup de Turcs, après avoir vu l’apparition, se seraient convertis au christianisme.

En 1720, le monastère est passé sous le contrôle de l’église gréco-catholique. Entre 1759 et 1782 le Comte Potocki fit beaucoup pour le monastère, et construit notamment la cathédrale actuelle de la Dormition (voir la section architecture à propos de cette cathédrale pour plus de détails sur le Comte Potocki).

En 1795, à l’issue de la troisième partition de la Pologne, la région de Volhynie fut rattachée à l’Empire Russe. 30 ans plus tard, le monastère fit la demande au Tsar Alexandre I d’être rattaché au patriarcat de Moscou. Le Tsar Nicolas I accéda à cette demande 8 ans plus tard, en 1831, après que l’église gréco-catholique eut participé à l’insurrection de Novembre pour l’indépendance de la Pologne, insurrection qui se transforma en guerre éclaire entre les deux pays et qui se solda par la défaite de la Pologne.

En 1833, le monastère se vit attribué le statut de Laure, et vers la fin du XIXe siècle, la Laure de Potchaiev était un des grands centres de pèlerinage de l’Empire Russe et des Balkans. Son image d’avant-poste de l’orthodoxie russe à l’ouest, à seulement quelques kilomètres de la Galicie contrôlée alors par l’Autriche, était un symbole politique fort souvent utilisé dans la propagation du panslavisme. On voit donc ici l’importance des considérations politiques dans l’attribution du statut de Laure.

Après la révolution bolchevique, la partie ouest de la Volhynie fut transférée à la Pologne. Cette région changea de mains plusieurs fois pendant la Deuxième Guerre Mondiale, et finit par être rattachée à la République Socialiste Soviétique d’Ukraine après la guerre. Le pouvoir soviétique n’était alors plus aussi virulent contre la religion que dans les années 30 (caractérisées par la destruction de nombreuses églises, dont la cathédrale St Michael de Kiev), et la Laure réussit à ne pas être fermée. Le pouvoir soviétique confisqua juste les propriétés annexes de la Laure, et une église pour la transformer en musée de l’athéisme.

Points d’intérêt architecturaux et artistiques

Quand vous passez le portail d’entrée, vous avez en face de vous une allée qui se termine par des escaliers, et ces escaliers vous mèneront à la Cathédrale de la Dormition. Sur votre droite, un escalier vous mène à la Cathédrale de la Trinité.

Au coin entre cette allée et cet escalier se trouve une petite chapelle qui a été construite pour célébrer les 400 ans du don de l’icône miraculeuse au monastère. Plus loin, le long de l’allée vers la Cathédrale de la Dormition, à votre droite vous verrez un autel d’été qui a été construit pour célébrer le 2000e anniversaire de Jésus-Christ.

La Cathédrale de la Dormition

La cathédrale de la Dormition qui domine la Laure a été construite entre 1771 et 1783 d’après le projet de l’architecte allemand Gottfried Hoffmann, à la place des anciennes églises qui étaient petites et dispersées. Cette cathédrale a été conçue et construite par le Comte Nicholas Potocki comme la plus grande église gréco-catholique.

Le Comte Potocki a vu son destin lié au monastère de façon pour le moins inattendue. Un jour qu’il passait par là, son carrosse s’est renversé sous les murs du monastère. Furieux, dans un accès de colère, il sorti son pistolet et tira sur son cocher trois fois, trois fois sans succès. N’ayant pas l’habitude de rater sa cible de cette façon, il regarda son cocher qui avait les yeux tournés vers le monastère et remplis d’espoir. Le Comte prit cela pour une intercession divine, tomba à genoux et décida de s’installer à Pochaiev et de consacrer une partie de sa fortune au monastère.

La cathédrale s’élève à 56 mètres de hauteur et est construite sur une colline, elle surplombe donc les environs de 65 mètres. Elle fait 54 mètres de long et 40 de large.

L’extérieur de la cathédrale, avec ses deux tours, est construite dans un style marquant la transition entre le baroque et le néoclassicisme. D’autres structures jouxtent cette cathédrale, notamment une chapelle d’hiver construite en 1862 et un réfectoire construit en 1888. Après que le monastère soit repassé sous l’église orthodoxe russe en 1831, l’intérieur de l’église a dû être rénové afin de se conformer aux traditions orthodoxes. Après l’incendie de 1874, l’intérieur a été complètement redécoré par le peintre Vasilyev et le sculpteur Poliyevski.

L’intérieur est divisé en trois parties par des arcades, et richement décoré avec des peintures, sculptures et icônes retraçant l’histoire du monastère ainsi que la vie du Christ. On retrouve ainsi la guérison miracle du frère aveugle de Anna Hoyska, le transfert de l’icône miraculeuse du château de Hoyska à Pochaiev, le transfert d’un moi2ne au monastère après sa captivité chez les Turcs, le Comte Potocki et son cocher… et il y a également les thèmes bibliques, dépeints comme prenant place dans la nature environnant le monastère: le Christ et le pécheur repenti, la résurrection du fils de la veuve de Naïn, le Christ dans la maison de Marthe et Marie, les lettres d’or de gauche à droite qui symbolisent la foi orthodoxe. Sur le mur de l’autel, on peut admirer une grande représentation de la Vierge dans une colonne de feu, telle qu’elle est apparue aux fondateurs du monastère.

Enfin, la cathédrale contient la tombe de Potocki et surtout les deux trésors de Potchaiev, l’icône miraculeuse de la Vierge, ainsi que l’empreinte du pied de la Vierge.

La Cathédrale de la Trinité

La cathédrale de la Trinité a été construite entre 1906 et 1912 d’après un projet de Aleksey Schusev. Cette cathédrale a été construite pour rendre hommage aux églises anciennes qui ont été détruites pendant la construction de la cathédrale de la Dormition. L’aspect extérieur austère de la cathédrale est basé sur le style architectural médiéval du nord de la Russie, et les porches sont décorés avec des mosaïques et des peintures symbolistes de Nicholas Roerich.

L’entrée ouest de la cathédrale est décorée par une mosaïque représentant l’icône de Pochaïev de la Mère de Dieu. Des anges entourent cette icône, et en dessous on peut voir les saints de la région de Volhynie qui se tiennent debout pieusement.

L’entrée nord est décorée par une représentation de la Trinité selon le Nouveau Testament, et un crucifix au centre.

L’entrée sud est décorée par une mosaïque représentant le Christ entouré des princes russes.

Le Clocher

Le clocher a été construit entre 1861 et 1869, et son style rappelle celui de la Cathédrale de la Dormition. Il fait 65 mètre de haut, et est un des plus hauts d’Ukraine. Il est composé de trois étages, qui ont une forme carrée, alors que le rez de chaussée a une forme de croix. Au-dessus de la porte, on distingue une icône de la Vierge Marie, et côté nord une icône de St Job de Pochaiev, le protecteur du monastère. Il y a en tout 25 cloches situées sur le troisième niveau, et la cloche principale, installée en 1886, pèse 11,5 tonnes.

Informations practiques

Nous nous sommes rendus à la Laure de Potchaiev avec un groupe de pélerins, au départ de Kiev. Nous sommes partis en bus de Kiev le soir, et nous sommes arrivés à la Laure le lendemain matin à 05:30, ce qui nous a permis d’admirer le site avant que le gros des touristes n’arrive, et d’y passer la matinée. Nous avons ensuite visité plusieurs sites religieux avec ce groupe, et notamment l’Eglise de Saint Séraphin de Sarov, où Saint Séraphin aurait vécu 1000 jours durant, et la source de Sainte Anne, réputée pour ses guérisons miracles.

Il existe également des bus en partance de Lviv, Rivne ou Ternopil, le monastère si situant à environ une heure et demie en voiture de Ternopil.

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À qui conseillons-nous ce voyage?

Si vous venez en Ukraine pour la première fois et ne disposez que de quelques jours ou d’une semaine, il est préférable de vous concentrer sur les sites plus faciles d’accès, comme Kiev, Lviv ou Odessa. Si vous avez une voiture, vous pouvez vous y arrêter en chemin entre Kiev et Lviv.

Si vous restez plus longtemps en Ukraine, ou si vous connaissez déjà le pays, nous vous conseillons fortement de visiter ce site.

Et c’est un incontournable si vous venez en Ukraine pour un voyage religieux ou spirituel.

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